Yorkshire Sunset

La parenthèse d’Isa 310125 Kakistocratie

Diffusé le 07/03/2025

illustration de Frédérique Dupuis pour Chaotik théâtre

illustration de Frédérique Dupuis pour Chaotik théâtre

LA KAKISTOCRATIE ou les pleins pouvoirs pour les nuls

Les gens ne savent plus rien foutre et d’ailleurs, ils ne foutent même plus ! C’est la faute au téléphone portable, aux rézos X, à la méthode globale… Après la déconstruction, puis la dissolution, avant l’effondrement, quoi maintenant ? La… simplification.

Un mouvement général de molle glissade vers le moins-disant de la pensée engage à faire confiance à son ressenti. Guidé par l’intuition, immédiate et sans effort, on a toujours raison de croire ce qu’on croit et de prendre parti pour qui on sait. Foin du réel et de la vérité — trop complexe ! Paresse intellectuelle et responsabilité limitée, les gens ne lisent plus, ils pensent par eux-mêmes et finissent par assoir un grotesque à l’énorme masse financière sur le sommet du monde. C’est comme si les imbéciles avaient élu leur roi… et que l’Amérique venait de basculer en… kakistocratie.

Special greetings to Mister Aubila senior pour m’avoir soufflé ce terme : kakistocratie, autrement dit le règne des imposteurs ou la démocratie pour les nuls.

D’aucuns craignent qu’un tel phénomène ne mette en péril la démocratie… Mais, ma bonne Lucette ! c’est le jeu même de la démocratie qui favorise l’accession au pouvoir de tels fieffés margoulins. Oui ! car, voyez-vous, c’est grâce à son habileté à séduire et non en raison de ses capacités à gouverner qu’un dirigeant se fait élire. Et la provoc d’un trublion méprisant les règles du pouvoir au point de prétendre s’en emparer fait kiffer grave ceux qui se sentent injustement déclassés ou castrés par le système.

Inspirée sur leurs réseaux sociaux par l’aspirant au trône, une complicité se crée qui confortent les influencés dans leurs tendances à gober d’un seul bloc au putaclic et clac ! le piège à cons produit son effet. Comment qu’il disait, l’autre ? Si tous les cons votaient, le siège serait kaki ?…. kakisto…. kakistocrate !

L’exercice du pouvoir sans scrupule ne requiert aucune qualification particulière. Peu importe l’expérience passée du candidat putatif et dans quel secteur il l’a ramassée, tant qu’il s’y est fait des relations qui comptent — au-dessus du milliard — et s’est taillé dans cette élite, bien au-delà des vulgaires influencés assujetis aux sociaux, un réseau d’influence confidentiel qui permet de se hisser à la puissance des cuistres jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. Parvenu là-haut, l’élu installera aux postes clés ses affidés les plus incompétents, où ils seront légitimes tant qu’ils jouiront d’un crédit suffisant à leur crédibilité.

Pratiquée en cercle fermé, l’allégeance qu’exige la préservation du clan constitué aggrave certes son crétinisme consanguin mais peu importe à cette kakistocratie de ne produire que chaos et cacophonie : là-haut, la cohésion prime sur la cohérence.

Vu d’en bas, ça fait peur ! Surtout quand Trompémusc apparaît en messie miraculé et proclame d’hallucinantes inepties à la foule de ses fanatiques en délire. Mais gardons-nous bien de craindre qu’il soit fou au point de croire à son propre jeu, ce serait jouer au con avec lui… Et il ne faut jamais sous-estimer l’ennemi ! Seul fol est qui s’y fie. On devrait plutôt craindre qu’il sache très bien ce qu’il fait quand il fait n’importe quoi…

Selon certains commentateurs, passer aux yeux du monde pour un dingue imprévisible et capable de tout, ne serait qu’une habile manière de se faire redouter. Et de fait, le monde entier reste sidéré, comme un lapin pris dans les phares, face à ces tonitruances gesticulées.

Si l’on peut raisonnablement douter que le prédicateur sauve du marasme tous ses adorateurs, on peut être sûr qu’il saura se montrer loyal à sa classe. Il en a donné, au jour de son investiture, la spectaculaire démonstration :

En offrant à ses fidèles le rituel d’abrogation en grande pompe d’un droit inscrit au 14e amendement, Trompémusc faisait d’une paire deux couilles : refusant la nationalité ricaine à ceux qui viendraient naître sur son sol, il pouvait s’assurer à sa propre succession de son efficacité gouvernementale, malencontreusement née ailleurs…

Tel Ubu roi sur son trône, Trompémusc peut narguer le monde, se conduire en sale gosse et proférer des stupidités avec toute l’autorité du mufle et l’impudence d’une pudibonderie de butor.

Étroitement intriqués l’un à l’autre sur le faîte du monde, ces supermecs de la Tech et de l’Etat n’ont pas davantage besoin de savoir-vivre que de savoir-faire : ils jouissent, de fait, d’une position dominante dans laquelle, intimement liés, ils assurent la reproduction d’un capitalisme de sommet, évoluant en apesanteur au-dessus des variations climatiques et des lois du marché.

Et la démocratie dans tout ça ? Quelle malversation aurait-elle donc à craindre dans laquelle elle ne se soit pas déjà compromise ? Les minorités ? Elle sait comment leur écraser démocratiquement un à un tous les droits. La liberté d’expression ? En tant que loi du plus grand nombre, la démocratie reste soumise à la démagogie. L’ignorance est sa force. Pour peu qu’il se veuille efficace, le démagogue élu n’hésitera donc pas à museler la presse et la science afin de prévenir toute critique et garantir à la majorité ralliée à sa cause la jouissance ininterrompue de ses libertés individuelles. Liberté d’investir et prospérer, de se réussir soi-même, aussi riche et puissant que possible, les libéralités doivent avant tout protéger la sacro-sainte libre-entreprise, laquelle impose en kakistocrate de croître quoiqu’il en coûte.

Tant pis pour les faiblards, les traînards, les vaincus, tant pis pour les espoirs du genre humain, pour la planète et toutes les pauvres bêtes, incapables de s’adapter à ce stade suprême de l’imbécilité triomphante ! Là où le seul savoir-faire de l’argent est valorisé au détriment de tous les autres : les plus abrutis par la gagne culminent au sommet de la gloire.

Et comme dit l’autre Aubila, le junior cette fois : vaut mieux pas jouer au plus con avec ces gens-là.

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