La parenthèse d’Isa 240926 Vertus en vente
Diffusé le 04/10/2024
On leur avait promis un arbre planté pour chaque pack de bière acheté. C’est ainsi qu’un gros brasseur de CO2 incitait les buveurs à picoler plus écolo. Pour compenser, il fallait qu’ils boivent et reboisent. Pendant ce temps, d’autres luttaient contre le réchauffement en achetant davantage de fringues jetables. Chacun faisait sa part. Jusqu’à ce que tous apprennent qu’à l’insu de leur pleine conscience, la verte démarche ayant essentiellement servi à financer des pinèdes en monoculture intensive, elle avait réussi à réduire aussi drastiquement la biodiversité indigène que l’empreinte carabinée du pollueur… Qui l’eut cru qu’en multipliant les pins pour fabriquer des bières, on aurait moins d’impact qu’en cessant tout bonnement d’abattre du bouleau ?
On leur avait vendu le rêve d’un territoire exemplaire, permacultivé en autogestion participative, où l’on préserve son mode de vie dans la bienveillance positive de l’entre-soi. Ça ressemblait à de la terre mais en creusant un peu, ils ont trouvé la morale, et plus profond, l’exploitation. Biodynamisée de gratitude, ce pré-carré permettait pourtant si bien de croire que la grâce qui rejaillit sur les nôtres tient à notre mérite et d’ignorer le labeur des autres auxquels on la doit.
On leur avait promis une terre à eux, où ils pourraient vivre libres, dans l’unité, la paix et l’amour… Il s’agissait, sur la foi d’une promesse faite dans la légende à leur ancêtres, de revendiquer la terre où d’autres avaient ensevelis les leurs…
mais que peuvent les morts contre la force armée, soutenue par le bon droit du pognon puis par la mauvaise conscience des nations ?
On leur avait vendu l’idéal socialiste d’une vie communautaire à cultiver des oranges et des avocats. Ils se retrouvèrent pris entre deux terrorismes, à produire des grenades et des gilets par-balles…
On nous avait vanté l’extrême onctuosité d’un saint homme tout dévoué à la cause des économiquement faibles. On apprend aujourd’hui qu’il cédait à des dévotions plus triviales. Qu’on juge sévère ces vilenies vénériennes ou vénielles au vu de l’ignominieux trafic d’envergure international dans lequel une autre missionnaire s’est au paravent illustrée, ça fait quand même mal au culte de la charité désintéressée s’il ne lui suffit plus qu’on montre son mérite.
On leur avait déjà vendu le vieux mythe de la justice sociale sortie des urnes. Mais l’heure était grave. Il importait de s’unir pour faire front commun contre le péril brun. Et fissa car ça pressait. Après avoir fait ce qu’ils avaient à faire, ils se sont congratulés dans la fierté d’avoir accompli ensemble quelque chose de bien. Ils y ont cru si fort encore qu’ensuite, ils avaient l’air déconfit de ceux à qui on la fait pour la première fois…
Ils sont mignons, quand même les gens : toujours prompts à croire aux grands idéaux, à se prononcer pour le bien.
Ils ne voient pas l’égocentrisme planqué sous l’altruisme, la vanité boursoufflée que dissimule l’empathie. Ils ignorent, dirait-on, que le calcul intéressé se drape dans la cape de la générosité. Et que la tolérance – vomitivement correcte – confine à l’indifférence, voire à la lâcheté.
Les gens louent la constance — tellement utile pour ne jamais se remettre en question. Ils louent (encore plus cher !) la sincérité — pourtant si pratique pour humilier son prochain quand on pourrait charitablement se taire.
Quoi que j’en dise, les vertus positives comme la bienveillance, la confiance, restent des valeurs sûres. ça fait recette !
Les belles personnes sont prêtes à avaler les yeux fermés tout ce qui porte étiquette d’éthique équité.
C’est de bon cœur qu’elles sautent, par-dessus le marché, sur l’aubaine quand elles peuvent bénéficier d’une jolie réduction sur les sentiments élevés.
On est gentils, les gens, mais tout de même… soyons honnêtes ! Sous le beau geste, cherchons le bénéfice.
Acquérir un bien à vil prix ? Exercer son autorité sur plus faible que soi ? Profiter d’une main d’œuvre docile et gratuite ? Se faire polir le blason en façade et, par derrière, le chinois ?
Il y a toujours un bénéfice à retirer d’une action bénéfique, ne serait-ce que se considérer comme quelqu’un de bien, ce qui à la rigueur peut passer pour une noble motivation. mais que penser d’un truc aussi retors que la modestie ostentatoire ?
Quelle valeur attribuer à la notion d’obligation si l’on peut, sans produire d’acte, se racheter d’avoir mal agi en achetant des actions ?
Comme autrefois l’Église vendait des indulgences aux privilégiés qui reconstituaient ainsi leurs droits au paradis, on négocie aujourd’hui avec le Grand Capital son nettoyage de conscience contre sa participation à la croissance infinie.