
La parenthèse d’Isa 21.03.25 FRANCE DYNAMISME
Diffusé le 21/03/2025
FRANCE DYNAMISME, SOFT SKILL PEUT !
Comme la perquisition des clandés ou l’expulsion des clandos, la bienveillance de rétorsion, ça se pratique à l’aube. Ainsi l’épicerie solidaire du Secours Pop ne distribue-t-elle ses denrées périmées qu’aux valétudinaires les plus matutinaux.
Quant à France travail, elle convoque au chant du coq, pour te rappeler que le temps t’es compté. Que tu peux toujours te tâter pour toucher ta thune sans te sortir les doigts ! Car ce temps que tu gâches à te tripoter, c’est autant de profit perdu pour le patronat. Tu en es redevable, à raison de 15 h par semaine !
Mais comment s’en acquitter quand — même sur le marché de l’occasion — on ne vaut plus un rond ? Comment faire quand le temps file ? Qu’au fichier S de Pôle emploi, classé senior depuis l’ANPE, on est pour France Travail quasi sénile ?
Pour moi, sexagénaire, il n’y a plus rien à faire. Sauf du bénévolat, bien sûr. Là, y’a du taf à moudre : et j’en moule, à aider, agir, écrire, gesticuler des conférences d’édification populaire, lire des chroniques à la radio… bien plus de 15 h à la semaine !
— Ah mais non ! Ça compte pas, tranche l’inspecteur des travaux définis.
Va falloir arrêter. On ne m’en laissera plus le loisir. Pour mériter son RSA, c’est dans une démarche efficace de retour vers l’emploi que l’allocataire doit désormais s’engager. Seules sont reconnues utiles à la réinsertion sociale les heures effectuées sous contrôle d’un prestataire privé spécialement patenté pour ça par l’Etat.
— Mais comment satisfaire ce sous-traitant dans sa mission quand on n’est plus bon à rien ?
— Mais si ! fait-il. On est toujours bon pour le service !
Hormis les trépassés et les pas nés, même trépané, même dépassé l’âge de mourir pour la France, tu te crèveras pour France Travail. Cherche une place et creuse !
On ne veut de toi nulle part ? Tes lettres de motivation ne valent même pas l’encre pour y répondre ? Pauvre nulle ! Commence par refaire ton profil bas !
Revois tes exigences à la baisse ! Fais ton auto-analye critique, et rend public, sur ton espace personnel, la liste des défauts et qualités que tu auras dressée.
Des soft skills que ça s’appelle, en parler corporate… De tendres compétences dont les innocents contours dénoncent en creux tes petits troubles du comportement.
— Ou tu craches ce que tu sais, ce que tu es, ce que tu vaux, ou on te coupe les vivres ! te tance ton examinateur de conscience.
Alors tu balances tout ce qu’on voudra sur ton propre compte : tu es un mad skiller de la mort, d’accord. Tu joues le jeu. Tu collabores. Avec application, tu intègres à ton CV les aptitudes relationnelles et le leadership qui font remonter les gens de marque sur le haut du panier. Mais c’est sans illusions sur l’action de ces marqueurs “qualité humaine” sur le statut bas-de-gamme de ton potentiel d’employabilité. Pour tâter d’un vrai taf dans une société qui renvoie une telle image de l’humanité, il faut se lever tôt…
Parmi ces “savoir-être comme il faut” que plébiscitent les recruteurs, on trouve la motivation, la réactivité, et plus souvent qu’à son tour, le DYNAMISME. Ah ! le dynamisme ! En employant ce terme, les employeurs convoquent l’énergie, sportive et musclée, de la jeunesse. S’ils s’étalent avec complaisance sur l’« inclusivité » de leur boîte, leur vivre ensemble avec le handicap, c’est pour séduire de jeunes gens valides, immédiatement opérationnels.
Nous n’avons pas la même valeur d’usage, nous les jeunes générations d’hier. Nous ne saurions être — dans cette dynamique — alors que nous fûmes… du savoir-vivre sans entrave.
— Mais rien n’oblige, madame, à indiquer la DLUO sur le curriculum.
Certes, mais si t’as eu ton bac en 1984 (qui n’est pas seulement le titre d’une fiction dépassée mais aussi une année que certains ont connue), c’est pas trop la peine que tu la ramènes. Là où les hommes sont recherchés pour leur savoir-faire du chiffre, les recruteurs savent compter. Ils font le calcul. Et mes savoir-être de femme de lettres sentent l’obsolète et le néant.
L’expérience, les boss trouvent ça coriace. Ils préfèrent les tendrons, souples et malléables.
— C’est ça, le dynamisme : cette capacité à s’adapter sans cesse ! Et c’est une capacité qui s’acquiert, m’apprend le nouveau qu’on m’a mis comme délégué formation alors que l’ancien con seyait très bien.
Des mesures ont été prises, semble-t-il, pour retailler les cons seyants, trop conciliants. Ces conseillers sont sous-traités et leur traitement d’autant plus confortable que les cons qui peu siéent laissent moins d’aisance aux concupiscents récipiendaires. Si ça nous gêne aux entournures, selon le patron, ça tombe impec…
— Soyez confiante et positive ! Rien n’est jamais perdu, tente de me rasséréner ma référante Activ Talent, histoire de m’inspirer à me réinventer…
Et mon coach en réinsertion qui veut me booster en m’envoyant m’immerger en entreprise comme on prend les eaux à Vichy… Ils s’attendent à quoi, ces condescendants ? À ce que la vieille redevienne bankable au job dating ? Non. Mais pour justifier que des fonds publics soient versés aux entreprises privées qui les emploient, il faut que des cons comme moi s’astreignent par pack de quinze à des heures de présence à leurs presta.
Ainsi je sais qu’avant de prétendre au minimum vieillesse, je vais devoir m’appuyer encore quelques unes de leurs résidences d’écriture pour sous-développants durables. Avec conciliance et résignation, j’apprendrai à mériter mon RSA, consacrant mon précieux temps à la seule forme d’écrit qui ait encore quelque valeur : la re-rédaction de mon CV. Persévérance et sobriété ! Huit euros de l’heure, c’est toujours mieux que huit pour cent de droits d’auteur…
Avec abnégation, sinon stupeur et tremblement, j’optimise les mots clés qui placent en tête de gondole. Force et honneur au foutage de gueule ! Hébétude et constance dans l’apathie. Sénescence et déclivité. On peut savoir-être et pas avoir été…