
La parenthèse d’Isa 16.05.25 Fête des voisins
Diffusé le 16/05/2025
FÊTE DES VOISINS
Criblé qu’il est de violents orages, ce printemps charrie encore et jusqu’au dernier pont du mois de mai, des faits divers.
À St Christol, un différend de voisinage se vide au 22 long rifle.
À Vézenobres, ça s’accommode à coups de barre de fer et de pince à barbecue.
À st Martin de Valgalgues, comme leurs gosses se chamaillent, le père de l’un prend sa voiture, fonce sur le père de l’autre et le tue.
À Alès, le corps d’un homme mort depuis des semaines est découvert dans son logement. C’est la fête des voisins ! Tout va bien ! On est en mai, alors, fais ce qui te plaît !
En juin, tu te feras le Grau, en juillet, la Grèce et en mai, qu’est-ce que tu te fais ? Avant ta mère… tu te fades tes voisins. En effet, deux jours avant celle des MILF, (les mamans à qui t’aimerais faire la fête), c’est celle des voisins. Qu’est-ce qu’on va se mettre !
Il n’y a pourtant pas deux mots (à part, peut-être, « maman » et « Pétain »…) qui aillent plus mal ensemble que « fête » et « voisins ». Comment allier ces inconciliables ?
Les voisins, ne sont-ce ces mauvais coucheurs qui vivent bien trop près et viennent toujours se plaindre quand vous la faites, la fête ?
Car, bien entendu, ces gens de l’espèce limitrophe n’ont pas du tout de la fête l’idée qu’en ont les gens normaux. Ou bien ils ne la font jamais. Ou bien ils la font sans cesse et, de préférence, quand vous n’aspirez qu’au calme propice au repos réparateur.
Cela dit, qu’on s’entende : à propos desquels qu’on cause, de contigus ? Des abrutis du dessus, qui font dégobiller du rap en boîte autotuné, ou des renfrognés d’en dessous, qui grognent après vos invités quand ils se croisent en partant le matin dans l’escalier ?
Les voisins, ce ne sont pas des gens qui, vivant dans le même pâté, s’estimeraient peu ou prou vos homologues, mais ces chafouins qui vous épient et médisent sur votre compte parce que vous vous permettez d’avoir une voiture plus belle — ou plus déglingue — que la leur.
Les voisins, ce sont ces inconnus à la porte desquels ont consent, à la rigueur, à sonner quand on manque de beurre mais qui — manque de pot — sont véganes…
Tant qu’on n’a pas atteint le niveau de complicité suffisant pour le ragot de bas étage, une méfiance de bon aloi permet de camper avec eux sur une position neutre, sinon un plan d’égalité et de limiter les rapports de voisinage à l’échange, pratique et cordial, d’épicerie manquante et de banalités superflues. Et puis de se cantonner dans une indifférence prudente, respectueuse de l’intimité de chacun, lors des scènes de ménages qui tournent à la tragédie jusque dans la cour…
Alors, faire la fête avec les voisins, fichtre ! Une idée si saugrenue n’a pu sortir que de la tête d’un ravaudeur de tissu social sous-rémunéré.
Une telle expérience en convivialité subie pourrait-elle adoucir les aigreurs rancies dans la promiscuité ? Il s’agirait que, le temps d’un apéro par an, le trouble à l’ordre public soit officiellement permis. S’en suivrait une suspension des hostilités dans la parenthèse enchantée de laquelle, on ouvrirait les yeux sur les (bons côtés de ceux d’en face). On ne sait comment mais, commensal de ces sales cons, on découvrirait soudain les douceurs du vivre ensemble et ça suffirait pour qu’on se mette à tisser du lien social et qu’on réhabilite ses cohabitants.
Mais… Quelle valeur aurait ce lien créé par le prolo à l’heure où, fatigué d’en fabriquer de l’ajoutée, il préfère boire son ricard sans se faire emmerder ?
Le voisinage rend convivial comme le travail rend libre….
Il est vrai que se réjouir, spontanément, ça se fait mieux entre voisins — qui se connaissent mal et s’estiment peu — qu’entre gens informés, qui s’entendent à débattre. S’agissant d’adjacents disparates, peu susceptibles de mijoter de conserve contre l’ordre établi, la fête des voisins est une belle initiative, bien inoffensive ! Grâce à quoi le monde peut dormir tranquille : ces particuliers ne sont pas réunis là pour le refaire. Et d’autant moins qu’on leur a offert de jolies affiches et des ballons de baudruche pour établir leur droit à pique-niquer sur le trottoir
On le sait : toute initiative, en ce monde, est mue par le projet de diviser l’humanité en fractions de plus en plus ténues, de plus en plus contraintes. Lorsqu’on en vient à coller dessus une affichette aux couleurs d’un rassemblement — local ou national — c’est que la division est achevée.
Pas d’illusion à se faire. Les voisins sont d’ordinaire plus vigilants que solidaires. Cette bienveillance de façade qui prétend ravaler les rancœurs en trois coups de pineau et qu’ils consentent à partager n’est qu’une forme autogérée d’opération boîte aux lettres.
Ce ne sont pas les plus à la dérive des riverains qui vont en profiter. Le 23 du mois, ceux-là n’ont plus dans le frigo quoi que ce soit de présentable. Ils n’oseront pas s’approcher de la table dressée sur la place, qui croule sous les victuailles… Non. On va socialiser là entre gens de bon goût.
Le goût, vous savez : ce que les pauvres n’ont pas.
Les bras chargés de braves bouteilles, les copropriétaires, une fois n’est pas coutume, vont s’assembler pour un échange courtois d’urbanités sans invectives. Ils vont poliment s’en foutre jusque là jusqu’à 22 heures pétantes, heure à laquelle le pisse-vinaigre du troisième appellera la police aux réjouissances.
Décidément, j’en ai soupé. La fête et les voisins sont irréconciliables. Le voisin est une espèce qui ne s’accorde qu’avec le dégât des eaux, le mur mitoyen litigieux, le tapage nocturne et l’intervention des forces de l’ordre.
Le seul festival entre voisins, c’est la querelle de voisinage.